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Continuité et renouvellement
En art, toutes les expériences vécues, même si à la longue elles ne sont plus visibles pour elles-mêmes, s’accumulent telles des strates superposées pour constituer un terreau nourricier d’où naissent la suite des œuvres. Contrairement à un processus de vieillissement qui s’applique physiquement aux êtres et à la nature, elles revitalisent sans cesse le travail, s’additionnent, et c’est la raison pour laquelle elles sont essentielles.
Travaillant sur l’image picturale et sur les potentialités intrinsèques de la peinture, c’est-à-dire de ce qui la constitue, des matériaux et leurs propriétés, y compris les supports, à la gamme chromatique, Bernard Gilbert ne cesse de se comporter en chercheur, en expérimentateur, chez qui la manière de poser l’acte créatif, la gestuelle initiatrice, les ressources corporelles physiques, participent intimement à l’aventure d’émergence de la peinture, tout comme les outils par lesquels elle se produit.
Ceci pour dire que l’œuvre de Bernard Gilbert s’élabore dans une continuité en se renouvelant incessamment et que tous les acquis s’additionnant néanmoins avec le souci primordial de ne jamais céder au système répétitif qui ne serait plus qu’une recette bien appliquée. Dans ce processus, la confrontation, la mise à l’épreuve de l’œuvre dans des espaces et des lieux donnés, ainsi que le regard des autres, acquièrent une importance de révélateur extérieur.
Dans cette dynamique qu’il s’est imposée et par laquelle il enrichit constamment son travail pictural, Bernard Gilbert élargit son horizon ainsi qu’il l’a fait au sortir de sa formation à l’ERG (École de Recherche Graphique), en stagiaire aux Beaux-Arts de Lyon et à l’Université de Montréal, ville où il a eu envie de poursuivre un dialogue qui s’est concrétisé par trois expositions, la dernière en solo grâce à la bourse du Fonds Thirionet.
Depuis, l’œuvre a pris de l’aisance, de l’assurance, de l’audace, elle s’est déployée dans cet esprit de recherche par lequel se réinvente perpétuellement un langage personnel qui se complexifie, qui se confronte à lui-même, qui joue la provocation en interne et se force à réagir pour donner davantage encore sans jamais céder de terrain à autre chose qu’à ses propres ressources.
Le parcours artistique s’est étoffé naturellement, en quelques prix remportés, en expositions en galeries et centres d’art, apportant reconnaissance ; en se tournant, par le biais de la couleur vers les interventions en espaces architecturaux, en multipliant les connexions scripturales et poétiques grâce à l’édition. Poursuivant ce trajet dans lequel chaque peinture est une étape accomplie comme élément de réponse aux multiples questionnements qui sous-tendent l’accomplissement, Bernard Gilbert parfait une œuvre par laquelle il révèle les incommensurables ressources de la peinture pourtant toujours mystérieuse, énigmatique et aussi éblouissante.
Claude Lorent
